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Journal de campagne du soldat Broncard en 1914
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Semaine du 27/07 au 02/08

Inutile de remonter sur les événements précurseurs de la mobilisation que je vous ai dit lorsque je sortais encore et cependant ces événements ne s’étaient pas encore passés tels. En y pensant maintenant, j’en arrive à croire que les milieux nous commandant en étaient persuadés. C’était tout d’abord simple précaution disait-on, la garde de la Compagnie Générale Électrique par la majeure partie de la 8ème Compagnie partie brusquement le mardi à 11 heures du soir ; et puis les préparatifs sur les imprimés de mobilisation qui n’avaient jamais eu lieu depuis 1870, la manutention militaire produisant sans arrêt et entassant sous tente dans les cours, et d’autres faits que j’ignore.

Donc je passe et j’en arrive au jeudi soir 30 juillet.

Revenant comme d’habitude à 8 heures ¾, rien d’anormal dans la caserne ; la grosse lanterne à acétylène était prête dans la cour comme depuis plusieurs jours et nos sacs toujours montés attendaient sur la planche. Nous nous couchons et endormons. À 11 heures nous sommes brusquement réveillés, la cour était illuminée par le fameux phare, au 37ème de la lumière aussi, enfin on nous dit « Debout, on mobilise ! » Nous sautons au bas du lit et nerveusement nous faisons ce que nous avons fait maintes fois en exercices ; d’ailleurs nous n’avions qu’à toucher les vivres, mais cette fois aussi les cartouches. Et aussitôt les caisses arrivées, on les brise et on nous distribue nos 120 cartouches et toutes les fameuses boîtes de casse-croûtes dont notre chef était si avare. A une de ses observations, notre capitaine lui répond brusquement « Qu’ils enlèvent tout, comme cela les prussiens ne trouveront rien en arrivant ici ». Minuit, nous sommes toujours ici, les faisceaux de sacs et fusils formés dans la cour. On s’attendait à partir, mais seul le 1er bataillon s’en va occuper les tranchées qu’il a préparées quelques jours auparavant du côté de Pulnoy et Cercueil, et on nous autorise à nous coucher tout habillés et équipés.

 

Vendredi 31 juillet

La journée va se passer en attente, mais quelle nervosité ! Le matin, nous voyons passer les régiments de Toul et les dragons qui se dirigent, je l’ai su depuis, vers Dombasle et St Nicolas-de-Port. Nous ne faisons rien.

Vers 11 heures, j’ai la visite de maman, j’essaie de la rassurer, mais je suis persuadé moi-même de l’inévitable. Voilà trop longtemps que cela est tendu, il faut que cela casse. Je déjeune à la cantine. Revenu, on nous conseille de nous reposer, on en aura besoin, nous dit-on. Je me couche donc l’après-midi mais ne dors pas, évidemment.

5 heures - je retourne dîner à la cantine ; là j’apprends qu’on vient de recevoir la dépêche ministérielle ordonnant la mobilisation des troupes de couverture. Je me hâte, je n’ai pas bien faim.

6 heures - une sonnerie brève mais fatale (un coup de langue et tout le monde en bas). Cette fois, c’est vrai, nous voyons des officiers et surtout des sous-officiers qui ont les larmes aux yeux et sont tout blancs. Un pas presque irréparable est franchi, nous attendons maintenant dans la cour derrière nos faisceaux.

6 heures et demi - compagnie par compagnie, le 2ème bataillon s’en va.

7 heures et demi - c’est notre tour. Nous quittons donc la caserne, la foule qui n’a pas diminué depuis 3 heures derrière la grille pleure sur notre passage mais nous, nous sommes très gais, presque contents. Nous traversons ainsi la rue Jeanne d’Arc, le faubourg St Jean et arrivons place de la gare. C’est une ovation sans fin parmi la foule faisant la haie, plus de discipline, on n’écoute rien, quelques cris répétés de « À Berlin ! » retentissent, d’autres entonnent la Marseillaise … c’est presque du délire. Mais nous passons vivement Cours Léopold où je rencontre H. Staub sur son camion avec deux soldats, rue de Metz où un vieux veut nous suivre et marche au pas malgré les « petits verres » qu’il a pris en quantité certainement déraisonnable. Devant Michaut, première pause. Puis nous allons nous disloquer et occuper nos emplacements respectifs assignés par les plis de mobilisation.

Une section, la 4ème, au pont du chemin de fer, route de Champigneulles, la 3ème, au pont stratégique, la 2ème, à la gare de Champigneulles et au pont de Pixerécourt et nous, la 1ère nous continuons jusqu’au pont de Bouxières, commandée par le lieutenant Mangès. Là on nous subdivise à nouveau : un poste de 4 hommes et un caporal (Buttel) route de Custines - un autre 4 hommes et caporal Harmand à la scierie. Les sentinelles au poste principal (pont de la Meurthe) sont désignées et prennent leurs emplacements. Moi je n’ai rien de spécial pour cette 1ère nuit, cependant après réflexion, une patrouille dont je ferai partie partira à 2 heures du matin. En attendant, il faut barricader le pont. Nous cherchons les véhicules disponibles et je vais avec d’autres chercher un camion et une autre voiture dans la maison anciennement Lorrain où est installé le petit poste de la route de Custines. Et puis cela fait, il ne nous reste qu’à nous endormir dans le grand hangar près du pont où nous trouvons la paille nécessaire.

 

Samedi 1er août

2 heures du matin – l’heure de la patrouille est arrivée et je pars avec 3 autres et le capitaine Cuny. Nous devons rallier le petit poste Harmand et le pont de Pixerécourt où est une partie de la 2ème section et revenir par le même chemin. Il fait bon et rien d’anormal. La journée se passe sans incident, je prends la garde à mon tour et vais relever la sentinelle devant les armes. Comme nourriture, singe[1] et conserves diverses dont nous avons amples provisions.

6 heures du soir – je suis de garde toujours à la même place. Le tocsin retentit à Champigneulles, Bouxières et se répercute plus loin. Est-ce la guerre ? Nous avons bientôt l’explication par les groupes nombreux qui passent, portant chacun un petit baluchon et se dirigeant vers Nancy. C’est la mobilisation générale à la date du 2 août. C’est le 2ème moment d’émotion réelle après celui du départ. On cause avec les groupes qui passent, tous ont les meilleures intentions et la journée et la nuit se passent ainsi.

Ordre de mobilisation-1

 

Dimanche 2 août

C’est dimanche. La situation n’empêche pas de s’habiller en grande tenue, ni d’aller à la messe, ce que font tous les habitants. Journée aussi sans incident, toujours de garde encore à la même place. Dans l’après-midi passent de nombreux troupeaux de vaches et bœufs de la région pour aller à la commission de réquisition qui siège dans les prés. Vers le soir le temps se brouille, la pluie tombe à torrents. Incident comique : les paysans surpris par l’averse avec leurs troupeaux veulent retourner chez eux car la commission est lente et ils n’ont pas mangé de la journée. Il se fait tard aussi, alors malgré les gendarmes et garde-champêtre, ils poussent en une fuite éperdue leurs bêtes vers leurs chez eux, vues ou pas vues. Le commissaire, vétérinaire tout galonné, arrive au poste fort en colère en demandant des renforts pour ramener les fugitifs. On arme à la hâte de bâtons le disponible du poste et les voilà sous l’averse à la chasse. Mais ils reviennent au bout d’une demi-heure tout trempés et bredouilles. Les vaches courent fort et malgré la pluie, je ris de la mine du commissaire.

Dans la journée aussi, on a eu la distribution de viande fraîche et légumes secs en grande quantité. D’après les renseignements, on attend les territoriaux G.V.C. (Gardes des Voies de Communication) qui doivent venir nous relever. Mais la journée se passe et rien ne vient … seule la nuit et c’est fini pour aujourd’hui.


[1] Dans le jargon militaire, boîte de bœuf assaisonné = corned beef.

 

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