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Journal de campagne du soldat Broncard en 1914
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Semaine du 03/08 au 09/08

Lundi 3 août

Attente toujours des G.V.C. qui ne veulent pas venir. Inspection du poste par le capitaine comme les jours précédents. Vers 13 heures, un roulement de tambour : on demande des ouvriers au fort de Frouard et au bout d’un certain temps, vieux et jeunes s’en vont pour raser les casernes et maisons.devant le fort qui gênent le tir et sont aussi un but.

Passe-temps : on pêche à la ligne dans l’étang près du pont avec des engins de fortune, mais la friture n’existe que dans le bouillon … de l’étang.

Le soir enfin … des pantalons rouges au loin, ce sont les G.V.C. tant désirés. Quelle armée ! Tout habillés de neuf mais quelle attitude, le bistrot voisin commence à les occuper et c’est avec bien du mal que la relève s’opère. Enfin, ça y est. Nous nous préparons à partir et à 6 heures et demi départ. Nous rejoignons le poste de la gare à Champigneulles, puis sous le pont stratégique toute la compagnie se trouve rassemblée et nous attendons 2 grandes heures. Heureusement qu’on a le pont car il pleut toujours et la nuit commence.

Maintenant il fait nuit, nous allons partir. Il est 8 heures et demi. Où allons-nous ? On ne sait, mais on parle vaguement d’Agincourt. Et on lui tourne le dos, à moins qu’on ne prenne le chemin des écoliers. En effet, nous traversons Malzéville, puis prenons la route du plateau et la butte Sainte-Geneviève. Mais que de précautions ! On commence à se fatiguer, il ne pleut plus, mais le temps menace toujours. Les kilomètres se succèdent et nous arrivons enfin en vue d’Agincourt. La 1ère ferme à gauche de la route est justement affectée à la compagnie. Les autres se répandent dans le village où se trouve déjà de l’artillerie (le 8ème). Arrivés au but, nous entrons et retrouvons nos réserves qui nous attendaient, puis comme il se fait tard on s’installe, horriblement serrés, soit 260 hommes dans une grange, tout équipés et armés. Il est maintenant minuit et on commence à s’endormir tant bien que mal.

 

Mardi 4 août

A peine endormis, il faut se réveiller. Est-ce une alerte ? On le croit. On sort précipitamment et on nous distribue pour 2 jours de vivre. Il est maintenant une heure et on ne dormira plus. La nuit se passe ainsi pour ma section qui doit commencer à prendre la garde. On installe les sentinelles et ceux qui restent, dont moi, passent la nuit derrière les barricades accroupis contre le mur. Inutile de dire que nulle envie de dormir ne nous vint. Il pleut maintenant de nouveau. Je devais avoir bientôt l’explication de l’alerte de la nuit. Une patrouille de uhlans[1] aurait été signalée se dirigeant de notre côté.

Mais est-ce vrai ??? Toujours est-il qu’à 3 heures, une patrouille devait partir en reconnaissance. J’en fus et nous partîmes avec le capitaine Buttel et 2 autres et par quel temps ! Après avoir fait environ 1 kilomètre hors du village où nous ne vîmes rien - mais par contre quelle « sauce » on avait prise – on revint se faire sécher.

La journée se passe sans incident. Vers 4 heures du soir, on nous apprend la déclaration de guerre officielle. Enfin ! Cette nouvelle est bien accueillie par tous, cette fois on avait été trop loin et on ne pouvait plus reculer. Même disposition que la nuit précédente pour dormir, c’est-à-dire très serrés, mais cette fois sans alerte.

 

Mercredi 5 août

Toujours à Agincourt, dans la matinée on nous réunit pour aller faire du service en campagne. Tout comme au plateau, il s’agit d’entraîner un peu les réservistes qui n’ont plus l’habitude. Mais pas d’entrain … on sent que cela n’est pas réel et on nous fatigue. Seul résultat appréciable : on mange bien et on touche régulièrement, mais que de mal déjà pour avoir du vin qu’il n’y a plus dans le pays et qu’on ne peut aller chercher facilement à Nancy !

Au rapport vers 4 heures du soir, on apprend les premières nouvelles de la guerre, exploits des chasseurs qui furent un peu exagérés. En même temps, on demande des téléphonistes pour former l’équipe régimentaire, soit 2 ou 3 par compagnie. Jugeant la chose intéressante et pensant courir aussi moins de risques tout en faisant mon devoir, je me propose. Nous sommes 3 qui nous proposons ainsi, dont un qui avait déjà commencé en temps de paix. Nous n’avons pas de temps à perdre, car il faut aller se présenter au colonel qui se trouve avec le 2ème bataillon à Seichamps et quelques minutes plus tard, nous partions à une douzaine du bataillon environ. Arrivés, il ne s’agit pas du colonel mais du sous-lieutenant de réserve Crouzier qui, chargé du téléphone, nous interroge sur nos aptitudes. Je réponds connaître les installations électriques et téléphoniques et que, par l’habitude, j’en saurai davantage. Nous sommes tous pris et nous aurons, soit ce même soir ou le lendemain, notre affectation soit dans les équipes de bataillon ou l’équipe régimentaire. Il ne nous reste donc plus qu’à revenir et la nuit va se passer comme la dernière sans incident.

 

Jeudi 6 août

Mon 22e anniversaire !

Une explication, tout d’abord, sur la section téléphonique. En temps de paix, il y a un atelier par bataillon, soit 6 hommes et un caporal chef d’atelier. Ces 3 équipes subsistant telles en temps de guerre, il fallait donc du supplément pour créer l’équipe régimentaire, soit 4 ateliers à 7 hommes (= 28 hommes). C’est nous qui devions les fournir, mais alors une partie des téléphonistes anciens (classe 11) devaient former le noyau régimentaire, ce qui arriva.

Dès le matin, nous nous tenons prêts. Nous remettons à la compagnie nos outils portatifs (ces derniers étant remplacés par nos appareils) et aussi nos cartouches en excédent, car au lieu de 120 cartouches, on n’en aurait plus que 54 par homme. Bientôt en effet, on vint nous chercher tout en nous affectant. Nous devons passer d’abord au poste du 3ème bataillon pour y laisser les nouveaux nommés dont Jullien de ma compagnie et Kovache de la 9ème … et d’autres. Corceron et moi, tous deux de la 10ème compagnie – 3ème escouade, sommes nommés à l’équipe régimentaire. Nous partons ensuite pour rejoindre à Seichamps avec le capitaine Dubuc anciennement du 3ème bataillon qui va à l’équipe régimentaire. Nous arrivons vers midi. On mange une boîte de singe à la hâte, car on parle de partir et il faut nous affecter à nos ateliers respectifs et toucher nos appareils. Je suis affecté au 2ème atelier ainsi que Corceron et plus tard, les subdivisions se feront. J’entrevois alors notre chef en second, le sergent Felker, type du sous-officier rengagé. Peu instruit sur le métier militaire et encore moins en téléphone, mais qui se croit malgré cela infaillible en tout. Personnellement, je n’aurai d’ailleurs jamais à me plaindre de lui, quoique ce soit un type bizarre, très peureux et assez fanfaron. Le sous-lieutenant Crouzier, autre type, quoique de la réserve, très zélé, trop même, ne nous ménageant pas du tout et s’exposant inutilement lui-même et excessivement dur pour lui comme pour nous.

Maintenant le 2ème bataillon auquel est venu se joindre le 1er, attend pour partir vers l’inconnu.

Général de CastelnauVers 2 heures, le général de Castelnau passe en auto et peu après, le signal du départ est donné. Nous nous dirigeons par la grand’route vers la frontière, mais quelque peu après Laneuvelotte, nous nous arrêtons. On attend des ordres pour avancer. Au repos, nous sommes dispersés par compagnie ou sections spéciales et entendons différents bruits :

1 – notre lieutenant nous dit que le général veut que le 20ème Corps couche en terre annexée ce soir, cependant il se fait tard.

2 – un peu après, arrivent les nouvelles de notre entrée à Colmar et Mulhouse accueillies au cri répété de « Vive la France ! ».

Mais le temps passe et nous sommes toujours là. Heureusement, on s’occupe : nous nous trouvons justement arrêtés sur un champ de petits pois et on fait ample récolte dans nos gamelles, ce sera pour dîner. On attend encore et vers 7 heures, ordre est donné d’aller cantonner à Laneuvelotte. Ce ne sera donc pas encore pour ce soir. Nous retournons donc à Laneuvelotte qui n’est guère qu’à 800 mètres et prenons nos emplacements. Une petite grange nous échoue pour la section téléphonique seule où nous ne sommes pas trop mal. Mais il fait nuit déjà et pas encore mangé, il faut nous dépêcher et nous nous y mettons.

 

Vendredi 7 août

Rien de nouveau. On profite du temps à soi pour continuer les affectations, d’autant plus que les installations ont déjà commencé et qu’il faut être prêts. Je continue donc l’explication : notre chef d’atelier Borel (classe 11 – 2ème cl.) fait l’affectation lui-même ; de 6 que nous sommes, on fait donc deux postes complets avec chacun leurs appareils et permettant à l’atelier de se suffire à lui-même. Grâce à mes connaissances de la signalisation (par alphabet morse), je suis choisi comme chef du 1er poste ainsi constitué : chef moi, ayant les combinés (récepteur et appareil lui-même) et les différents cahiers pour les télégrammes et conversations, plus une boîte de branchements, avec Franchet classe 1912, portant 2 piles et un rouleau de fil de 500 mètres et Beaucousin classe 1911, portant une boîte d’induction et une bobine de fil. Le 2ème poste est ainsi : chef Cosson, Corceron et Maître portant les mêmes appareils que plus haut. Nous voilà donc prêts à fonctionner, ce que nous ne tarderons pas à faire. Le reste de la journée se passe ainsi.

 

Samedi 8 août

Rien de nouveau, toujours à Laneuvelotte ; les nouvelles de Liège nous parviennent et nous transportent. Nul doute qu’on aura facilement et rapidement raison d’eux. Hélas ! On ne connaissait pas la suite. Dans la matinée, première leçon, et dernière aussi, d’installation par le sergent Felker. 5 heures arrivent : c’est notre tour de garde et nous allons remplacer le 1er atelier. Le poste est installé à la mairie et est relié aux avant-postes du 2ème bataillon. Je reste avec mon poste à la mairie, tandis que le deuxième poste va en avant. Nous sommes 3 à prendre la garde et quelquefois 4 quand le chef d’atelier est là, soit 2 heures à la fois jour comme nuit. Rien d’intéressant … Chambrey brûle dit-on, d’autres assurent que ce sont seulement les fermes environnantes, allumées par les chasseurs sur lesquels on aurait tiré. Cette fois, un matelas pour dormir et à l’abri, ce que n’aura pas l’autre poste, mais chacun son tour.

 

Dimanche 9 août

De bonne heure, le 1er bataillon part en manœuvre ainsi que la section téléphonique. C’est drôle, mais rien d’étonnant pour qui connaît le commandant Craman d’avoir choisi ce jour-là, d’accord en cela avec le colonel Aimé qui envoya promener le curé venu lui faire une réclamation. Nous, nous restons à notre poste. Dans la journée, nous voyons passer le premier officier allemand blessé ainsi que d’autres dépouilles de uhlans. Vu aussi le propriétaire de la ferme, brûlée, avec ses femmes sur une charrette et emmenés comme ayant sciemment caché des soldats allemands et nous ayant attirés dans un guet-apens.

Les dépêches sont nulles et ne présentent aucun intérêt. Vers le soir, nous repartons voir notre grange, relevés par le 3ème atelier. Depuis hier, le 2ème poste se plaint de ne pas avoir à manger et d’avoir du mal pour s’en faire donner.



[1] Dans les armées slaves et germaniques : nom donné à un cavalier, à l’origine armé d’une lance.

 

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