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Journal de campagne du soldat Broncard en 1914
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Semaine du 07/09 au 13/09

Lundi 7 septembre

Nous faisons grasse matinée ; nous pensons rester ici quelque temps ; dans le village, il y a aussi un régiment de coloniale. La matinée se passe donc en plein calme ; chacun met du sien pour le déjeuner. D’autre part, nous ne savons rien sur les opérations faites ou à venir. Après avoir mangé pour le mieux, nous décidons de faire une manille et avec 3 autres, je m’installe dans le verger à quelques mètres de la maison. J’ai oublié de dire que la veille au soir, des postes avaient encore été installés : c’était à Flainval même à la mairie le 1er poste du 1er atelier + Maître remplaçant un homme absent, à Anthelupt nous avions rétabli un poste, c’était le 2ème poste du 1er atelier avec le chef d’atelier Félix et aussi Cosson en remplacement, et enfin aux avant-gardes avec le 2ème bataillon commandé par le capitaine Faure, le 1er poste du 3ème atelier avec Froment chef d’atelier. Pour nous, ce n’était pas notre tour et nous étions tranquilles, ce qui explique nos loisirs. Mais revenons à notre partie de manille déjà commencée. Il y avait un quart d’heure que nous jouions quand un obus, venu de je ne sais où, éclata à 50 mètres en arrière d’où nous étions. Inutile de dire que la partie fut vite terminée, nous en fûmes quitte seulement pour de la terre et quelques pierres ; on partit immédiatement se réfugier dans la maison ; mais à peine y étions nous qu’un nouvel obus venait frapper la route devant cette même maison ; des éclats qui devaient être de forte taille la démolissaient en partie et à l’intérieur nous recevions un tas de bois et autres détritus de toutes sortes. Il n’y avait plus aucun doute, cette fois, le village allait être bombardé. Nous nous étions promené de droite et gauche toute la matinée et nos uniformes n’étaient pas passés inaperçus. On en avait la preuve actuellement.

On ne resta pas longtemps dans la maison ; une partie alla dans une cave et quelques uns, dont moi, allèrent simplement à la mairie qui était en face. Tous nos sapeurs, notre poste téléphonique et un poste de secours y étaient déjà ; nous restâmes là, une heure et demi environ pendant laquelle le bombardement ne cessa point. Les projectiles n’atteignirent cependant pas la mairie. D’après des débris, nous pouvions bientôt juger que c’étaient des obusiers de 210 qui étaient devant le village ; c’est dire les ravages que cela pouvait produire. Après ce temps enfin, l’accalmie se produisit, notre adjudant nous rassembla, l’ordre était d’évacuer le village de crainte d’un nouveau bombardement, seuls les postes téléphoniques restaient. Une tranchée à la sortie et à gauche du village devait nous abriter ; elle était assez bien construite contre les balles et éclats d’obus, mais trop étroite  pour se coucher. L’adjudant qui s’en aperçoit annonce son intention de rejoindre le poste à Flainval ; c’était la première fois qu’il le faisait ; quant à nous, nous comptions y passer la nuit. Cependant je ne devais pas y coucher ; mon atelier était de jour et les vivres pas encore arrivés ; il faisait déjà nuit quand on les annonça et à ce moment, l’adjudant réclamait aussi un planton. Je suis désigné pour cela et je me rends à Flainval rejoindre le poste. J’aimais autant cette solution qui me permit d’être bien couché et de dormir et cela, malgré les risques ; d’ailleurs ce n’était que provisoire, un planton cycliste devait être là pour le lendemain. Dans Flainval, un groupe de maisons brûlaient, allumé par les derniers obus : c’était sinistre. La nuit fut cependant bonne, malgré les émotions assez chaudes de la journée.

 

Mardi 8 septembre

Rien de nouveau. Nous sommes toujours à notre poste. Une dépêche arrive ; je vais la porter au commandant Pétin et je réclame le planton cycliste par la même occasion. Il me le promet sitôt disponible et en attendant met 3 sapeurs à notre disposition pour transmettre les ordres. La journée se passe donc relativement tranquille, nous mangeons tant bien que mal ; le poste du 37ème est à côté de nous et un peu plus tard arrive le poste du 69ème que nous connaissons déjà. Vers le soir, Félix vient nous voir en repérant la ligne et nous promet un poulet tout cuit que Maître va chercher. Dans l’intervalle, Cosson arrive tout effaré, la tranchée où ils étaient à Anthelupt a été bombardée par des obus. Pour nous, le bombardement a été pour ainsi dire nul. Vers le soir aussi, les premières dépêches officielles de la bataille de la Marne nous parviennent, elles sont des mieux accueillies et nous font présager d’autres victoires ; nous n’en savons pas plus alors.

 

Mercredi 9 septembre

Nous ne nous réveillons pas de bonne heure et de plus en plus, je bénis le hasard qui me permet de si bien dormir au lieu d’être dans une tranchée. Je vais aux vivres presque aussitôt. La matinée se passe sans incident ; mais malheureusement, il ne devait pas en être de même pour l’après-midi. Je ne sais quelle heure il était exactement quand le bombardement commença, mais il fut tout de suite des plus violents. Notre adjudant qui n’était pas des plus braves, et dans l’occasion beaucoup eurent fait comme lui, proposa bientôt d’aller dans une cave où il n’y aurait rien à craindre. On démonta rapidement les appareils et on profita d’une accalmie pour traverser la rue et se rendre dans la cave en question. Elle était excellente et parfaitement voûtée. Le 69ème nous avait précédé dès la matinée et était installé de l’autre côté de la route, juste en face de nous. Mais une autre question se posait, nous avions bien les appareils, mais pas de fil pour nous relier à notre ancien poste en passant par celui du 69ème. Je fus désigné par l’adjudant pour aller emprunter une vingtaine de mètres de fil au 37ème ; j’y allai bien vite mais il n’en avait plus non plus. Je m’apprêtai donc à revenir, j’avais déjà traversé la rue en partie quand un sifflement bien connu retentit dans mon voisinage. Il n’y a pas moyen de s’y tromper et je jugeai en une seconde qu’un obus n’allait pas tomber loin de moi. En effet, dix mètres plus loin, l’explosion se produisait juste au milieu de la route. Je me couchai rapidement à terre, juste sur la trappe de cave où nous étions et je reçus une avalanche de pierres et de tuiles ; j’en fus quitte pour la peur et je m’empressai de descendre vivement à l’intérieur.

Quand notre adjudant eut vu qu’il n’y avait pas moyen de raccorder la ligne, il nous donna ordre de retourner à notre ancienne place et bientôt lui, Naudin et moi étions revenus avec une partie des appareils. Maître et Dechozal étaient restés avec l’autre, pourquoi ? on ne sut pas au juste. Inutile de dire que durant ce temps, le bombardement continuait toujours sur d’autres points et que nous opérions entre 2 obus. Il ne paraissait cependant pas n’y avoir plus d’une pièce de braquée à l’entrée du village, mais c’était toujours la même : un obusier de 210. Voyant que Maître et Dechozal ne revenaient toujours pas, l’adjudant m’envoie encore leur donner l’ordre formel de revenir. J’obéis, j’eus bien un moment d’hésitation en pensant à ma dernière traversée du village, mais il fut de courte durée ; je plaisantais même avec le téléphoniste du 37ème qui avait cru que j’avais été tué quand j’avais traversé un peu avant. Mais alors, comme un fait exprès, je m’étais engagé à peine sur la route que le même sifflement revint. Cette fois l’obus ne tomba guère qu’à 6 mètres de moi, mais un peu sur le côté. Cette fois, j’eus réellement peur et j’étais persuadé que chaque fois qu’un homme traversait le village, le ballon captif qui était devant nous et qui voyait tout ce qui se passait devait nous signaler à la pièce qui tirait. C’était bien gaspiller les munitions que de tirer 2 obus de 210 sur un homme seul et même sans l’atteindre, mais d’autres exemples plus étonnants encore m’assurèrent du fait. Mais revenons à la cave. Je fis ma commission à Maître et Dechozal, celui-ci paraissait malade et les 2 pas du tout disposés à y aller ; inutile de dire que moi-même qui n’étais plus du tout rassuré, enfin nous retournâmes et n’eûmes plus d’autre alerte de la journée. L’adjudant était très en colère et ne parlait rien moins que de faire passer Maître et Dechozal en conseil pour refus d’obéissance. Pendant 2 jours il y eut des histoires à ce sujet et l’incident ne fut clos qu’après et grâce à Félix qui fit tout pour l’amoindrir. Ce même soir, Pister venait remplacer le planton cycliste, de cette façon nous serons 2 s’il y a des dépêches à aller porter. La nuit fut calme et excellente.

 

Jeudi 10 septembre

Dès le matin nous recevons l’ordre de quitter Flainval, probablement sur la réclamation de l’adjudant ; nous devons aller dans une tranchée située dans le haut et un peu plus loin que le village. Cela ne m’enchante qu’à demi. La tranchée où nous arrivons est voisine de celle des sapeurs et construite par eux ; elle est dans le mauvais sens, c’est-à-dire pas face aux batteries allemandes, elle ne nous garantirait pas du tout. Le reste de la section téléphonique, qui n’est pas de service, est avec le commandant à 150 mètres de nous. Nous commencions à faire cuire des biftecks quand le bombardement commença aussi ; décidément la place n’est bonne nulle part. nous nous en apercevons mieux encore quand après quelques coups, tous dans notre voisinage, un obus de 77 tombe juste à 2 mètres derrière notre tranchée. Cette fois encore, je croyais bien que nous allions être tous pulvérisés, mais nous nous en tirâmes après être à demi asphyxiés et notre toiture légèrement endommagée. Le fusil du sous-off était brisé en deux et son sac complètement déchiré. Dès lors, nous ne demandions plus qu’une chose, retourner à Flainval, mais nous devions passer la journée et la nuit dans notre taupinière. Et quelle nuit ! Le bombardement cessa vers le soir, et la pluie vint. On dormit donc tant bien que mal courbés en 3 et les extrémités dans l’eau. C’est dans cette journée que l’adjudant me dit m’avoir proposé comme 1ère classe.

 

Vendredi 11 septembre

Nous étions plus fatigués que la veille. Rien d’intéressant dès le matin ; nous remettons en ordre notre ligne passablement disloquée. Vers 10 heures une bonne nouvelle : nous allons réintégrer Flainval et, cette fois, dans la cave. Pister et moi restons les derniers pour toucher les vivres et à 11 heures et demi nous étions tranquilles et à l’abri dans notre cave. Quelques jours de bon temps allaient commencer ; il n’était que tôt. Dès notre arrivée, nous nous occupons du repas ; une visite au poulailler voisin nous fournit 2 belles poules qui feront midi et soir ; quelques bouteilles de petits pois avec et nous allions manger comme jamais depuis la campagne. Je reprends à cette occasion mes fonctions de cuisinier et je me surpassai. Les Boches toujours jaloux reculèrent bien un peu notre premier déjeuner ; pendant que je découpais le poulet pour le faire rôtir, ils recommencèrent le concert, mais une demi-heure après, je revenais à mes marmites. Nous étions dans une maison en face de notre cave qui avait mis obligeamment à notre disposition cuisinières, marmites et tout ce qu’il fallait ; il y eu bien quelques récriminations par la suite, mais à cela près. Le soir, ce fut pareil et nous nous couchâmes au sec et le ventre bien garni ; des paillasses et matelas étaient même là ; c’est dommage qu’il y eut un peu trop de puces à l’intérieur, ce qui malgré tout ne nous empêcha pas de bien dormir.

 

Samedi 12 septembre

Nous sommes toujours dans notre cave de Flainval et nous n’avons pas trop mal dormi. Notre service est à peu près le même. On nous ravitaille et on nous apporte de la viande ; voilà déjà quelque temps que nous n’en avions pas vu la couleur, aussi est-elle la bienvenue. Je conserve mes fonctions de cuisinier et par le fait, je reste assez étranger au téléphone. Rien de particulier n’arrive. Pour la première fois depuis longtemps, la canonnade a cessé et nous sommes entièrement tranquilles ; nous en profitons donc pour faire l’inventaire de ce qui peut rester au village, mais sans grand succès car nous ne sommes pas les premiers et une bonne partie des maisons ont été détruites. Seuls les porcs abondent, mais on ne peut songer à en tuer pour 6 personnes que nous sommes ; enfin nous avons la chance de retrouver 6 bouteilles de pois bonnes à prendre. Nous avons l’explication du silence des Boches, nos batteries ont démonté plusieurs des leurs et en particulier les obusiers qui étaient braqués sur le village et plus tard nous apprendrons aussi que la retraite ennemie coïncide avec notre victoire de la Marne. La journée se passe donc en toute tranquillité, et la nuit aussi.

 

Dimanche 13 septembre

Toujours à la même place, le calme continue ; de ce fait, nous nous attendons à avancer et à poursuivre l’ennemi qui a reculé jusqu’à la frontière dit-on. C’est encore du repos pour la journée en perspective et on ne s’en fâche pas. Dans la journée nous recevons avis du lieutenant d’être prêts à relever la ligne car nous ne passerons probablement pas la nuit ici et en même temps, il rappelle Pister. Cependant le soir arrive et nous sommes toujours là, à ce moment arrivent même plusieurs avis contradictoires. Les uns nous disent d’attendre et d’autres de relever la ligne de suite. Et on attend. Le temps qui était au beau depuis quelques jours a l’air de vouloir se brouiller et une tempête est à prévoir. À 11 heures et demi du soir, l’ordre arrive de relever la ligne de suite, il pleut à torrent. C’est un drôle d’exercice à entreprendre. C’est Maître et moi qui partons pour en relever la moitié pendant que Borel opère avec d’autres à l’autre bout. Il fait complètement nuit et ce n’est rien moins qu’intéressant. Malgré cela nous venons à bout de notre partie plus facilement que nous l’avions cru d’abord, mais dans quel état nous revenons. Il est alors près d’une heure et nous sommes transpercés. On va se reposer tant bien que mal jusqu’à 4 heures, heure à laquelle il faut partir.

 

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