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Journal de campagne du soldat Broncard en 1914
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Semaine du 24/08 au 30/08

Lundi 24 août

Rien de nouveau aujourd’hui, nous sommes toujours au repos et nous en profitons largement ; ce sera peut-être pour longtemps après. On profite aussi pour se nettoyer, nous en avons besoin. On mange bien aussi et nous touchons[1] très normalement. J’ai encore la chance de ne pas être de service aujourd’hui, les autres ateliers s’en chargent. Dans l’après-midi, le conseil de guerre s’assemble, il y a plusieurs civils parmi les prévenus, entre autres le maire français de Réchicourt, accusé d’avoir correspondu avec l’ennemi installé dans le clocher de Bezange, lors de notre offensive. Condamné à mort, il fut exécuté le lendemain.

 

Mardi 25 août

Repos encore sur toute la ligne et pas de service téléphonique non plus. Ce repos prolongé nous semble à tous extraordinaire ; aussi pour ne pas nous donner de mauvaises habitudes, on nous prévient vers 10 heures d’avoir à être prêts à partir au premier signal. La canonnade très lointaine, qui n’a pour ainsi dire pas cessé depuis notre arrivée, continue encore, c’est je crois notre artillerie lourde qui arrête l’ennemi. Enfin nous en sommes pour une fausse alerte, car la journée se passe et nous couchons encore là. Ce n’est pas pour nous déplaire.

 

Mercredi 26 août

D’après ce qu’on nous répète constamment, nous ne tarderons pas à partir ; nous avons ordre de déjeuner au plus vite car on pourrait bien s’en passer complètement, aussi dès 9 heures commençait-on. La canonnade a presque complètement cessé. Vers 3 heures seulement, nous quittons Coyviller. Nous n’allons pas bien loin, à un carrefour de route où nous devons attendre nos ateliers de service.

Les bataillons travaillent à des tranchées. Est-ce que l’ennemi approche à ce point ? Ou sont-ce des mesures de précautions ? A ce moment, nous voyons distinctement Nancy ; les crassiers[2] de Jarville nous semblent tout près et je pense que réellement nous n’en sommes pas loin et les Allemands non plus. Pas autre chose jusqu’au soir et nous ne savons pas très bien ce qui se passe. À la nuit les 2ème et 3ème bataillons avec nous et ce qui reste du 1er se dirigent vers un grand château pour y passer la nuit. C’est très grand, il y a de la place et nous n’y sommes pas trop mal. Nous n’avons pas touché nos vivres pour le lendemain et je suis de jour avec mon atelier, c’est-à-dire que c’est nous qui devons faire les corvées de la journée ; nous nous couchons cependant, dans l’espoir, malheureusement réalisé d’être bientôt réveillés. En effet à minuit, les corvées arrivaient et il nous fallait aller chercher ses vivres. Après nous être perdus dans le grand parc et 4 voyages inutiles, nous avions enfin terminé et nous nous recouchions, non sans peine et pour de bon cette fois.

 

Jeudi 27 août

Il est 4 heures quand nous quittons notre cantonnement et cette fois, nous savons à peu près où nous allons. Nous reprenons l’offensive et à cet effet devons aller à Rosières-aux-Salines, c’est donc là que nous nous dirigeons. On entend encore le canon de loin et nous parvenons bientôt à l’emplacement désigné soit 3 km environ à l’ouest de Rosières. Nous profitons pour casser un peu la croûte puis cette fois, c’est mon tour à installer ; nous devons relier le 2ème bataillon au colonel, mais sitôt prêts, il faut refaire le tout car nous ne devons pas rester là, mais avancer. Un peu partout, sont dissimulées les batteries d’artillerie prêtes à intervenir en cas de besoin.

Nous traversons à nouveau Rosières-aux-Salines, puis la Meurthe. Le génie répare le pont qu’on avait fait sauter, pour l’artillerie et les convois et nous-mêmes passons sur un pont fait avec des voitures à un de front. Nous nous arrêtons à nouveau à quelques centaines de mètres de la gare de Dombasle et à nouveau encore nous attendons. La lutte d’artillerie nous parvient plus distincte, soutenue par la 21ème brigade ; plusieurs obus de gros calibre et des schrapnells tombent sur la route à 500 mètres, mais aucun ne parvient jusqu’à nous. Le temps et la journée se passent ainsi et quand le soir arrive, nous ne savons rien de nouveau. Il fait nuit quand nous avons ordre de retourner pour coucher à Rosières. Nous prenons nos cantonnements rapidement et dormons bien vite car on nous a prévenu que la nuit serait courte. C’est en rentrant à Rosières que nous avons su que la journée avait été chaude et que le 26ème particulièrement avait souffert.

 

Vendredi 28 août

2 heures du matin. Il faut se lever ; nous touchons hâtivement quelques vivres, singe et biscuits et nous voilà partis. Nous passons la gare de Dombasle et nous dirigeons vers Hudiviller. Partout sur notre passage des batteries sont masquées. Nous laissons Hudiviller sur la gauche et gagnons Anthelupt. C’est dans ce village que les premières traces de lutte nous apparaissent et elles furent des plus violentes. Tous les murs sont démolis ou portent des éraflures de balles ou d’éclat d’obus ; quelques maisons ont été incendiées et les rues sont pleines de désordre de la bataille ; des vaches circulent ça et là très apeurées ; inutile de dire que le village est désert et aucun habitant ne s’y risque. Aussi les caves reçoivent de nombreuses visites et beaucoup profitent de l’occasion. Mais nous ne faisons que passer et marchons encore de l’avant ; des corps et des armes ont été abandonnés par l’ennemi ; nous sommes maintenant à mi-chemin d’une hauteur que les obus allemands frappent sans arrêt, c’est en haut que se trouve la ferme de Léomont à environ 5 km de Lunéville.

Les schrapnells tombent toujours de plus belle quand le commandant Pétin s’apercevant que nous n’avons pas d’outils pour creuser des tranchées nous dit de retourner légèrement en arrière nous abriter. Ce que nous faisons aussitôt. Combien de temps restons-nous là ? Deux à trois heures au moins. Le 79ème n’a pas bougé ; mais d’après les nouvelles récoltées d’ici et là, on sait que nous avançons et que l’ennemi recule. N’empêche qu’en attendant, il nous arrose copieusement. Vers 3 heures de l’après-midi, nous avons ordre d’avancer petit à petit ; il faut prendre des précautions, car le terrain est battu. Vers 5 heures, enfin, nous arrivons sur la route à gauche d’Anthelupt et nous abritions dans le fossé de la route ; durant notre dernier trajet, nous avons rencontré beaucoup de cadavres et même des blessés ennemis ; nous apprenons aussi que dans cet endroit, si les nôtres ont souffert, les pertes allemandes furent plus grandes encore. Entre nous et Anthelupt sont installées 3 batteries de 75 ; sur la route de Léomont à Anthelupt, il y a une batterie de 120, ces différentes pièces sont des buts que s’efforcent d’atteindre les artilleurs allemands, mais aucun de leur coup n’y parvient. Bientôt la pluie se met à tomber, d’abord peu à peu, puis à verse ; cela n’est pas agréable et nous sommes transpercés. Nous attendons toujours et il fait déjà nuit quand nous nous mettons en route. Où allons-nous à cette heure ? Nous allons bientôt l’apprendre par une parole du colonel qui cherchait sa route. C’est vers Deuxville que nous nous dirigeons pour la nuit.

Nous suivons la route de Bayon. Nous eûmes alors le spectacle le plus épouvantable et le plus triste que l’on peut imaginer en campagne. La nuit était des plus sombre et la pluie ne cessait pas. C’est dire qu’on ne voyait pas à 2 mètres devant soi et qu’on ne cherchait même pas à voir. À chaque instant nous butions contre des chevaux ou des hommes tués et étendus sur le chemin ; une odeur pestilentielle s’en échappait déjà. Mais ce qui nous impressionna le plus c’était les râles et les appels des blessés qui étaient là, depuis combien d’heures ? Des chiens affamés allaient flairer ces cadavres puis nous suivaient pour qu’on leur jette quelque chose et plus loin on pouvait deviner déjà des bandes de corbeaux qui s’envolaient à notre approche. Nous avons hâte de terminer cette course nocturne et d’atteindre Deuxville. Très loin, on apercevait une lueur sinistre ; quelque village qui achevait de se consumer pendant que des sentinelles tiraient de temps à autre sur des buts imaginaires. C’était lugubre et combien attristant. Nous arrivâmes à Deuxville encore pleins de ce spectacle et aussi très fatigués. Les habitants malgré l’heure tardive étaient contents de nous revoir et nous ne fûmes pas trop mal couchés. On dormit bien.

 

Samedi 29 août

Il est de très bonne heure quand le réveil a lieu, 4 heures je crois ; nous nous préparons aussitôt à partir et peu après, nous quittions le village. Nous nous dirigeons vers Anthelupt, ce qui semble que nous rétrogradons. Nous nous engageons donc sur la route ; à gauche est la fameuse cote 290 dont je reparlerai plus tard. À peine engagés sur cette route, que nous sommes salués par de nombreux coups de feu ; qu’y a-t-il donc ? Nous ne savons pas tout d’abord s’il s’agit d’une patrouille ennemie, ou d’une plus forte troupe, les balles sifflant toujours. Mais nous étions bientôt fixés, la cote 290 aux mains de l’ennemi, commandait complètement la route et le village de Deuxville ; c’était déjà une grande chance de ne pas avoir été attaqué durant la nuit ; mais il est probable qu’à ce moment, les Allemands ignoraient notre présence, et maintenant s’en apercevaient.

Nous avançons toujours sans pertes, mais avec précautions ; le spectacle de la veille au soir se révèle à nous dans toute son horreur. Là tout un parc d’artillerie a été anéanti ; il y a peut-être une quinzaine de caissons et 2 ou 3 voitures d’infirmerie plus ou moins brisées ; une quarantaine de chevaux commencent à se décomposer et des groupes entiers d’artillerie ennemie sont couchés, quelques uns ne présentent aucune blessure apparente, ils ont été asphyxiés par nos 75. Inutile de dire qu’on n’avance qu’avec difficulté, le sol ayant été labouré par notre artillerie. Plus loin nous croisons des refuges de blessés, allemands et français voisinent ; les nôtres sont presque tous du 69ème. Nous avançons encore sur la droite de Deuxville et le spectacle est longtemps le même. Enfin on entend bientôt les pièces ennemies qui commencent leur chanson et les nôtres y répondent ; nos unités prennent leurs dispositions de combat et se construisent des tranchées. Nous nous abritons dans un bois voisin, mais nous n’y restons pas bien longtemps ; nous retournons où nous étions la veille, c’est-à-dire dans le fossé de la route à droite d’Anthelupt.

À ce moment, il faut faire des installations, c’est le tour des 1er et 4ème ateliers. Le 4ème atelier est moitié au colonel et moitié à Anthelupt poste intermédiaire ; le 1er est à Flainval, à la brigade. Quant à nous qui restons nous sommes prévenus que nous y sommes peut-être pour longtemps ; aussi s’empresse-t-on d’aménager notre abri avec de la paille et des branchages pour être à l’abri de la pluie qui ne cesse pas depuis la veille. La journée se passe sans autre incident ; nous n’avons pas touché de vivres fraîches et il faut se rabattre sur le singe ; mais la faim ne nous étouffe pas, moi surtout.

La section étant réduite, mon atelier est encore de jour aussi à 11 heures du soir quand nous étions déjà couchés et Dieu sait comment, il nous fallut nous relever pour faire la distribution des vivres qui arrivent. Cela n’était pas des plus simples ; le poste de Flainval était bien en subsistance, mais il fallait pourvoir celui d’Anthelupt. Ce que nous fîmes : Borel, Maître et moi, et après cette promenade nocturne qui n’avait rien d’intéressant, nous rentrions, il était bien 1 heure. La nuit s’acheva et peut compter parmi les plus mauvaises. Nous n’avions pas de place surtout nous qui étions partis.

 

Dimanche 30 août

Nous nous réveillons de bonne heure, la position dans laquelle nous étions couchés et la pluie qui avait inondé notre abri ne nous permettait pas d’y rester longtemps. Notre 1er travail consiste à faire le jus et à faire cuire aussi la viande que nous avions touchée la veille. On mangea donc à peu près dès le matin. Bientôt un nouvel ordre d’installer arrive ; cette fois c’est à laOeufs durs division.

Le général est à la ferme des œufs durs[3] dans la journée ; mais la place n’étant pas assez sûre, le téléphone doit être installé sous un pont qui nous est indiqué, au croisement de la route de Lunéville avec celle d’Anthelupt, soit environ à 300 mètres des œufs durs.

C’est notre tour et je ne suis pas fâché de quitter notre abri, on y est vraiment par trop mal. Nous partons aussitôt, le travail est au ¾ fait, nous prenons donc la ligne à Anthelupt jusqu’au pont soit 800 mètres seulement. Quand nous arrivions au pont, le poste du 69ème y est déjà et nous sommes alors à 11 hommes (7 au 69ème) sous ce pont reliant nos brigades respectives à la division. Notre réseau est maintenant complet et ainsi détaillé : poste du colonel : poste du 4ème atelier – poste de la brigade : 1er atelier au complet à Flainval – poste de la division : 1er poste du 2ème atelier, le mien, pont route de Lunéville – et poste intermédiaire à Anthelupt nous reliant tous : 2ème poste du 4ème atelier. Un changement était bientôt opéré, le 2ème poste du 4ème atelier à Anthelupt ayant 2 hommes malades revenait à la tranchée et était remplacé par le 1er poste du 1er atelier, ce dernier se dédoublant.

En passant à Anthelupt, nous avions fait provision de vin, la maison où était notre poste étant abandonnée et en ayant encore. Autant en profiter car quelques jours plus tard, il n’était plus temps. Nous nous arrangions pour le mieux avec le poste du 69ème, mettant nos vivres en commun, ce qui était surtout intéressant pour nous qui touchions moins régulièrement, on mange donc à peu près. Nous établissons aussi notre service en commun ; inutile de veiller à deux ; d’autre part, le général étant revenu à Hudiviller pour la nuit, on nous avait promis un planton cycliste. Mais le planton n’arrivait pas et par contre les dépêches arrivaient sans cesse. Chacun notre tour, Général Fochnous faisons donc le chemin jusqu’à Hudiviller à pied soit 1200 mètres aller et retour. Un changement était survenu dans notre haut commandement, le général Foch venait de partir appelé à commander une armée dans le nord[4] (le bruit de sa disgrâce avait couru, rapport à Morhange, mais il n’en était rien), le général Balfourier prenait le corps d’armée, et le général Ferry commandant la 22ème brigade devenait notre divisionnaire par intérim. Mais pour ces derniers cela n’était pas définitif et ils restaient encore à leur ancien commandement.

Ayant reçu par téléphone la demande du colonel Aimé pour savoir l’emplacement du 79ème pour la nuit, c’est mon tour d'aller porter la dépêche à la division et en même temps je devais réclamer le planton, il commençait à faire nuit quand je partis. Le quartier général était installé dans le centre du village, à gauche, dans un café du centre, je crois et le haut du village était réservé aux ambulances et à l’artillerie. J’y parviens donc, non sans mal après avoir manqué de me faire écraser 3 ou 4 fois par l’artillerie qui allait et venait au galop. En même temps que la réponse, je reçu l’avis que le général Ferry devait encore rester à la brigade et je devais le transmettre à mon retour. Le planton me fut encore promis et nous devions l’attendre sur le pont.

À mon retour, j’eus du mal à retrouver notre poste, je le dépassai jusqu’à la ferme, l’obscurité étant complète et de nombreux convois suivaient la route. Enfin, je revins sur mes pas, et approchais du pont quand un coup strident troubla tout, un obus de 210 venait de tomber à 25 mètres environ en avant du pont. Il était temps que j’arrive, les coups se succédaient maintenant rapidement et tombaient tous dans notre voisinage, c’était à croire que c’était au pont lui-même qu’on en voulait. Ce n’était pas au pont, mais bien à la route et les nombreuses voitures qui passaient et dont plusieurs étaient éclairées étaient le but. À chaque coup, le pont tremblait, heureusement qu’il y eut cette fois encore plus de peur que de mal et vers 10 heures les derniers coups arrivaient, entre temps le planton était venu aussi. Nous nous endormons après cette alerte, 1 heure de garde à prendre seulement, nous ne sommes pas trop mal et la place ne manque pas.



[1] Il s’agit là probablement de « toucher les vivres » pour la journée.

[2] Tas de déchets des hauts fourneaux (= terril).

[3] Nom porté par une ancienne ferme située à l’écart du village d’Anthelupt. Selon la tradition orale très vivace, cette ferme portait déjà ce nom des « Œufs durs » depuis qu’un aide de camp de Napoléon, venu un jour y demander de la nourriture, ne put en rapporter que des œufs (durs). Le nom est associé maintenant au souvenir du Général Foch, qui fit provisoirement de cette demeure son poste de commandement, lors des combats au signal de Frescaty-Léomont en août-septembre 1914.

[4] Le 29 août 1914, Foch est appelé par Joffre à la tête de la IXème Armée.

 

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